Loin derrière les yeux...
Je me suis assis sur ce banc après avoir marché un peu en vain…..
Le soleil de ce début d’avril n’est qu’une décoration, il me chauffe si peu….
J’ai toujours eu une telle facilité à m’endormir n’importe où….
Surtout sur les bancs publics… Quelques minutes ou plus si affinités …..
J’adore cet instant imprécis où ma conscience s’évapore dans les bruits de la ville qui m’enveloppe….
Tout me vient comme si j’étais au cœur d’un ballot de coton…..par vagues douces, un millième sens aux aguets….. Inconscience...
Je n’ai plus envie d’ouvrir les yeux….. Un dernier tressaillement et je sombre….
Je sombre et j’attends ce moment magique qui ne viendra peut-être pas aujourd’hui mais c’est déjà tellement bien de le tenter…. Comme on tente un regard timide vers une jolie femme qui sourira peut-être en retour, assise sur le banc d’en face….
Ce moment où se prépare une rêverie….
Vous savez, ce petit rêve que l’on croit agir tellement il a le goût de la réalité….. avec ce léger rien de décalage qui le rend si intense et si étrange.
On se réveille peu après et on pleurerait de ne pouvoir l’attraper…. On essaie de rassembler les images mais, comme l’eau au cœur des mains jointes, elles s’enfuient déjà……
La dernière fois que je suis parti en moi, une jeune fille est venue marcher dans mon rêve… Mon eau fuyante….
Pourquoi elle ? Pourquoi être remonté si loin, après des décennies d’étreintes et de promesses ?
Peut-être parce que ce fut si fort ce jour-là et je le porte maintenant en moi si précieusement. Comme si je n'avais plus que ça pour vêtir mon âme.
Comme presque toutes les premières fois….
Jamais comme les dernières....?
Lorsque j’essaie de m’en souvenir, ma mémoire trébuche et son visage n’est plus rien d'autre que tous les visages aimés….Son prénom n’est qu’un souffle inaudible dans un vent violent…..
Je me maudis car je m’étais promis de les retenir à jamais…. Je lui avais promis à jamais, bon sang !
Un souvenir se convoque, un rêve s’invite….
Mais lorsque j’en rêve, sur un banc, je la nomme en la prenant de toutes mes forces d’alors, après s’être couverts de baisers à s’en brûler les lèvres…. L’instant parfait, l'ultime éternité de la découverte effrénée de l’Autre….
Milliers de petites mains-fourmis, gestes que l'on voudrait lents mais si empressés , gourmandises savourées à même la peau soudain fiévreuse…..
Elle s’est offerte pleinement, dans cette petite chambre, par un hiver de sang et de feu….
Tout y est, rien ne manque… Je sens son parfum mêlé de nos sueurs, je sais l’instant où elle s’abandonne un peu plus, je devine chaque frémissement de son corps un peu lourd lorsqu’elle essaie de retenir mon élan…. Sa voix comme un voyage « plus loin, mon Amour, plus loin… » . J’empoigne ses cheveux, elle se cambre encore un peu pour forcer mes reins à donner ce que je lui refuse si mal…..Encore un instant et…..
Un klaxon…..une insulte…. Je ne sais plus où je suis….
Eau fuyante…. Réveil de béton….
Mais là, loin derrière les yeux, je sais son Prénom…..